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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/452

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

bus et sa fin tragique, c’est-à-dire son mariage, ne me suffit plus ; j’ai soif de quelque chose de l’âme et de Dieu. Je regrette un accent pathétique, un reflet consolateur comme en a Manzoni. L’auteur nous fait suivre les corps au gibet ; il nous fait toucher du doigt les squelettes ; mais des destinées morales, spirituelles, pas un mot. La sensibilité, qui est à la passion poignante ce que la douce lumière du ciel est à un coup de tonnerre, faisait faute ailleurs en bien des endroits ; mais ici c’est la religion même qui manque. Tant qu’on reste en effet sur le terrain moyen des aventures humaines dans la zone mélangée des malheurs et des passions d’ici-bas, comme l’ont fait Le Sage et Fielding, on peut garder une neutralité insouciante ou moqueuse, et corriger les larmes qui voudraient naître par un trait mordant et un sourire ; mais dès qu’on gravit d’effort en effort, d’agonie en agonie, aux extrémités funèbres des plus poétiques destinées, le manque d’espérance au sommet accable, ce rien est trop, ce ciel d’airain brise le front et le brûle. Durant toute cette portion finale de Notre-Dame, l’orchestre lyrique, l’orgue en quelque sorte, pourrait jouer, par manière d’accompagnement, Ce qu’on entend sur la Montagne, cette admirable et lugubre symphonie des Feuilles d’Automne.

Bref, Notre-Dame est le fruit d’un génie déjà consommé pour le roman, et qui, tout en produisant celui-ci, achevait de mûrir encore. On y trouve des points extrêmes de la nature humaine qui ne sont pas ramenés au degré possible de fusion et d’atténuissement.