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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/482

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

lon nous, dans cette production déchirante, justifie le soupçon qui a circulé, et en fait une lecture doublement romanesque, et par l’intérêt du récit en lui-même, et par je ne sais quelle identité mystérieuse et vivante que derrière ce récit le lecteur invinciblement suppose.

Indiana est une créole de l’île Bourbon, une créole triste et pâle, qui a du sang espagnol dans les veines ; une Indienne malade du mal d’Europe, menue, frêle et fluette (gracilis) ; âme souffrante, étiolée, avide d’un amour qu’elle attend et qu’elle n’espère plus ; organisation débile, défaillante par elle-même, peu sensuelle, tout éthérée, toute soumise à l’âme, et capable, quand il le faudra, des plus robustes épreuves. Son père, qui était un joséphin, avait pris le parti prudent de quitter l’Espagne, en 1814, et de s’établir aux colonies : Indiana y est née, y a été élevée dans la naïveté et l’ignorance ; privée de sa mère dès le bas âge, elle s’est trouvée presque entièrement abandonnée, pour l’éducation et les soins, à un cousin de dix ans plus âgé qu’elle, sir Rodolphe Brown, ou plus brièvement sir Ralph. Ce cousin, fort singulier original, rebuté et comprimé lui-même dès l’enfance, sacrifié par ses parents à un frère aîné qu’on lui préfère, s’attache à la petite Indiana comme au seul être qui lui sourie au monde et qui lui rende amitié pour amitié. Il est probable que, malgré la différence des âges, il aurait fini par épouser sa cousine : car elle était devenue une charmante jeune fille, et par la mort de ce frère aîné, qu’environnait une injuste préférence, sir Ralph était devenu un riche héritier ; mais, durant un