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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/506

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

semble, un riant automne de jeunesse, sentent pourtant en leur cœur l’ennui, la mort, l’impuissance d’aimer et de croire ! Elles ont été trompées une ou deux fois ; elles se sont heurtées en leur premier élan contre l’égoïsme et la fatuité vulgaire : les unes se veulent guérir en trompant désormais à leur tour ; les autres gardent en leur sein la cendre et dévorent leurs pleurs. S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. Telle est l’idée de Lélia.

Mais cette idée, qui, si elle avait été réalisée selon des conditions naturelles d’existence, dans un lieu, dans un encadrement déterminé, et à l’aide de personnages vivant de la vie commune, aurait été admise des lecteurs superficiels et probablement amnistiée, cette même idée venant à se transfigurer en peinture idéale, à se déployer en des régions purement poétiques, et à s’agiter au loin sur le trépied, a dû être l’objet de mille méprises sottes ou méchantes : on n’a jamais tant déraisonné ni calomnié qu’à ce sujet.

Comme il était arrivé qu’aux approches et aux environs de Lélia le mot de roman intime avait été prononcé par je ne sais qui[1], et sans qu’on eût, je le

  1. Par moi-même, à l’occasion du roman de M. Delécluze, Mademoiselle de Liron (voir dans le volume de Portraits de Femmes, 1855).