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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/61

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CHATEAUBRIAND.

lieues, prêcher en Sorbonne à l’heure dite, comme si de rien n’était : « Sa parole, dit M. de Chateaubriand, avait du torrent, comme plus tard celle de Bourdaloue ; mais il touchait davantage et parlait moins vite. » Sa violence de passion, en tout temps, se recouvrait d’une parfaite politesse.

Il connut de bonne heure Bossuet et s’était lié avec lui sur les bancs des écoles : « Il eut le bonheur, dit M. de Chateaubriand, de rencontrer aux études un de ces hommes auprès desquels il suffit de s’asseoir pour devenir illustre. » Le biographe s’est laissé aller à être modeste pour l’humble héros : Bossuet, on le verra tout à l’heure, s’exprimera plus librement ; c’est lui qui revendiquerait pour lui-même le bonheur et l’honneur de s’être assis à côté de Rancé, de cet homme dont il ne parlait jamais sans être saisi d’une admiration sainte.

La vie tumultueuse de Rancé reçut à diverses reprises des avertissements qui le frappèrent et lui donnèrent à penser. Un jour, par exemple, qu’il était allé se promener avec son fusil sur un terrain alors inhabité, derrière l’église de Notre-Dame, se proposant de tirer quelque oiseau au passage, il fut atteint dans l’acier de sa gibecière d’une balle qu’on lui lâcha de l’autre côté de la rivière ; la boucle amortit le coup. Il ressentit vivement le danger, et son premier mouvement fut de s’écrier : « Que devenois-je, hélas ! si Dieu m’avoit appelé en ce moment ! » Ainsi à ces époques, plus heureuses par là que les nôtres, et jusqu’en ces âmes dissipées, même au fort du libertinage, on croyait ;