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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/87

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CHATEAUBRIAND.

Lorsque je publiai, en 1834, le roman de Volupté, M. de Chateaubriand m’écrivit la lettre suivante :


« Paris, 14 juillet 1834.

« Ma vie, monsieur, est si entravée, je lis si lentement que je serais trop longtemps sans vous remercier. Je n’en suis encore qu’à la page 51, mais je vous le dis sans flatterie, je suis ravi. Le détail de cette jeunesse et de cette famille est enchanté. Comment n’ai-je pas trouvé le blond essaim au-dessus de la tête blonde, et les deux vieillards et les deux enfants entre lesquels une révolution a passé, et les torrents de vœux et de regrets aux heures les plus oisives, et cette voix incertaine qui soupire en nous et qui chante, mélodie confuse, souvenir d’Éden, etc. ? Bien est-il heureux pour ma probité littéraire, monsieur, que ma jeunesse fût achevée dans mes Mémoires, car je vous aurais certainement volé.

« Je vous quitte pour retourner à vous ; je pense avec la joie d’un poëte que je laisserai après moi de véritables talents sur la terre. Agréez de nouveau, monsieur, je vous prie, les remercîments bien sincères d’une reconnaissante admiration.

« Chateaubriand. »

En citant de semblables éloges à mon sujet, je n’ai qu’une

    pareils commérages, qui portent sur des suppositions imaginaires. Cette combinaison qui, de ma part, eût consisté, en me brouillant avec l’un, à me réconcilier avec l’autre, est une pure invention ; et je ne puis même aujourd’hui me rendre compte de ce qui y aurait donné prétexte. Je l’ai dit, depuis juillet 1830 j’avais cessé de voir M. de Chateaubriand ; je n’étais nullement brouillé avec lui ; mais j’avais laissé tomber de premières relations pour être plus libre à son égard. Ampère, qui me témoignait en ces années une de ces amitiés dont il était si capable, une affection presque passionnée, parlait sans cesse de moi à Mme Récamier, et à moi il me parlait d’elle et de son désir de me connaître. Être présenté à cette aimable femme, c’était accepter en même temps de revoir M. de Chateaubriand, et dans ces circonstances j’eusse été un fat de m’y refuser. Il n’y avait aucune corrélation, d’ailleurs, entre cette entrée dans le monde de l’Abbaye-aux-Bois et mes rapports avec mon ancien ami, Victor Hugo. Mais nous touchons là à l’un des faibles de Béranger : c’était une illustre commère.