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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/297

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vit immédiatement et acheva l’époque de Louis XIV. C’est un écrivain du xviie siècle dans le xviiie, un l’abbé Fleury dans le roman ; c’est le contemporain de Le Sage, de Racine fils, de madame de Lambert, du chancelier Daguesseau ; celui de Desfontaines et de Lenglet-Dufresnoy en critique. De peintres et de sculpteurs, cette génération n’en compte guère et ne s’en inquiète pas ; pour tout musicien, elle a le mélodieux Rameau. Du fond de ce déclin paisible, Prévost se détache plus vivement qu’aucun autre. Antérieur par sa manière au règne de l’analyse et de la philosophie, il ne copie pourtant pas, en l’affaiblissant, quelque genre illustré par un formidable prédécesseur ; son genre est une invention aussi originale que naturelle, et dans cet entre-deux des groupes imposants de l’un et de l’autre siècle, la gloire qu’il se développe ne rappelle que lui. Il ressuscite avec ampleur, après Louis XIV, après cette précieuse élaboration de goût et de sentiments, ce que d’Urfé et mademoiselle de Scudery avaient prématurément déployé ; et bien que chez lui il se mêle encore trop de convention, de fadeur et de chimère, il atteint souvent et fait pénétrer aux routes secrètes de la vraie nature humaine ; il tient dans la série des peintres du cœur et des moralistes aimables une place d’où il ne pourrait disparaître sans qu’on aperçût un grand vide.

Septembre 1831.

Pour compléter cet article, il faut y joindre celui qui a pour titre : L’Abbé Prévost et les Bénédictins, dans les Derniers Portraits ; et, dans le tome IX des Causeries du Lundi, celle qui a pour titre : Le Buste de l’abbé Prévost.