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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/332

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chantes et dans ses reprises généreuses. Comme l’amitié, comme l’amour naissant qui s’y cache, se revêtiraient d’un coloris sans fard, et nous livreraient quelques-uns de leurs mystères par des aspects aplanis ! Comme les pâles et arides intervalles s’étendraient avec tristesse jusqu’au sein des vertes années ! Que la lutte serait longue, marquée de sacrifice, et que le triomphe du devoir coûterait de pleurs silencieux ! Allez, osez, ô Vous dont le drame est déjà consommé au dedans ; remontez un jour en idée cette Dôle avec votre ami vieilli ; et là, non plus par le soleil du matin, mais à l’heure plus solennelle du couchant, reposez devant nous le mélancolique problème des destinées ; au terme de vos récits abondants et sous une forme qui se grave, montrez-nous le sommet de la vie, la dernière vue de l’expérience, la masse au loin qui gagne et se déploie, l’individu qui souffre comme toujours, et le divin, l’inconsolé désir ici-bas du poëte, de l’amant et du sage !

Décembre 1833.

M. Jouffroy, que nous tâchions ainsi de peindre avec un soin et des couleurs où se mêlait l’affection, est mort le 1er mars 1842, laissant à tous d’amers regrets. Son ami M. Damiron publia de lui, peu après, un volume posthume de Nouveaux Mélanges philosophiques ; la haine et l’esprit de parti s’en emparèrent. Les funérailles de l’honnête homme et du sage furent célébrées par des querelles furieuses ; l’infamie des insultes particulières aux gazettes ecclésiastiques n’y manqua pas. Un penseur mélancolique a dit : « Tenons-nous bien, ne mourons pas ; car, sitôt morts, notre cercueil, pour peu qu’il en vaille la peine, servira de marchepied à quelqu’un pour se faire voir et pérorer. Trop heureux si, derrière notre pierre, le lâche et le méchant ne s’abritent pas pour lancer leurs flèches, comme Pâris caché derrière le tombeau d’Ilus ! »