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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/368

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nisation des insectes, la découverte de M. Gay-Lussac sur les proportions simples que l’on observe entre les volumes d’un gaz composé et ceux des gaz composants, lui devenait un moyen de concevoir, sur la structure atomique et moléculaire des corps inorganiques, une théorie qui remplace celle de Wollaston[1]. De même, une idée de Herschel, se combinant en lui avec les résultats chimiques de Davy, lui suggérait une théorie nouvelle de la formation de la terre. Cette théorie a été lucidement exposée dans cette Revue même des Deux Mondes, en juillet 1833. On y peut prendre une idée de la manière de ce vaste et libre esprit : l’hypothèse antique retrouvée dans sa grandeur, l’hypothèse à la façon presque des Thalès et des Démocrite, mais portant sur des faits qui ont la rigueur moderne.

Après avoir tant fait, tant pensé, sans parler des inquiétudes perpétuelles du dedans qu’il se suscitait, on conçoit qu’à soixante et un ans M. Ampère, dans toute la force et le zèle de l’intelligence, eût usé un corps trop faible. Parti pour sa tournée d’inspecteur général, il se trouva malade dès Roanne ; sa poitrine, sept ans auparavant, apaisée par l’air du Midi, s’irritait cette fois davantage : il voulut continuer. Arrivé à Marseille, et ne pouvant plus aller absolument, il fut soigné dans le collége, et on espérait prolonger une amélioration légère, lorsqu’une fièvre subite au cerveau l’emporta le 10 juin 1836, à cinq heures du matin, entouré et soigné par tous avec un respect filial, mais en réalité loin des siens, loin d’un fils.

Il resterait peut-être à varier, à égayer décemment ce portrait, de quelques-unes de ces naïvetés nombreuses et bien connues qui composent, autour du nom de l’illustre savant, une sorte de légende courante, comme les bons mots malicieux autour du nom de M. de Talleyrand : M. Ampère, avec

  1. On la trouve dans la Bibliothèque universelle, t. XLIX, et en analyse dans un rapport de M. Becquerel (Revue encyclopédique, Novembre 1832).