Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les dernières années au Collége de France, se promenant le long de sa longue table comme il eût fait dans l’allée de Polémieux, et discourant durant des heures, comprendront cette perpétuité de la veine savante. Ainsi en tout lieu, en toute rencontre, il était coutumier de faire, avec une attache à l’idée, avec un oubli de lui-même qui devenait merveille. Au sortir d’une charade ou de quelque longue et minutieuse bagatelle, il entrait dans les sphères. Virgile, en une sublime églogue, a peint le demi-dieu barbouillé de lie, que les bergers enchaînent : il ne fallait pas l’enchaîner, lui, le distrait et le simple, pour qu’il commençât :

Namque canebat, uti magnum per inane coacta
Semina terrarumque animaeque marisque fuissent,
Et liquidi simul ignis ; ut his exordia primis
Omnia, etc., etc.

Il enchaînait de tout les semences fécondes,
Les principes du feu, les eaux, la terre et l’air,
Les fleuves descendus du sein de Jupiter…

Et celui qui, tout à l’heure, était comme le plus petit, parlait incontinent comme les antiques aveugles, — comme ils auraient parlé, venus depuis Newton. C’est ainsi qu’il est resté et qu’il vit dans notre mémoire, dans notre cœur.
15 février 1837.

(On a fait à cette Notice l’honneur de la joindre à une publication posthume de M. Ampère ; mais comme il ne nous a pas été donné de la revoir nous-même, c’est ici qu’on est plus assuré d’en lire le texte dans toute son exactitude.)