Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/376

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«  Le cartésianisme, dit-il, ne sera pas une affaire (un obstacle) ; je le regarde simplement comme une hypothèse ingénieuse qui peut servir à expliquer certains effets naturels… Plus j’étudie la philosophie, plus j’y trouve d’incertitude. La différence entre les sectes ne va qu’à quelque probabilité de plus ou de moins. Il n’y en a point encore qui ait frappé au but, et jamais on n’y frappera apparemment, tant sont grandes les profondeurs de Dieu dans les œuvres de la nature, aussi bien que dans celles de la grâce. Ainsi vous pouvez dire à M. Gaillard (qui s’entremettait pour lui) que je suis un philosophe sans entêtement, et qui regarde Aristote, Épicure, Descartes, comme des inventeurs de conjectures que l’on suit ou que l’on quitte, selon que l’on veut chercher plutôt un tel qu’un tel amusement d’esprit. » C’est ainsi qu’on le voit engager ses cousins à prendre le plus qu’ils pourront de philosophie péripatéticienne, sauf à s’en défaire ensuite quand ils auront goûté la nouvelle : « Ils garderont de celle-là la méthode de pousser vivement et subtilement une objection et de répondre nettement et précisément aux difficultés. » Ce mot que Bayle a lâché, de prendre telle ou telle philosophie selon l’amusement d’esprit qu’on cherche pour le moment, est significatif et trahit une disposition chez lui instinctive, le fort, ou, si l’on veut, le faible de son génie. Ce mot lui revient souvent ; le côté de l’amusement de l’esprit le frappe, le séduit en toute chose. Il prend plaisir à voir les petites Furies qui se logent dans les écrits des théologiens, dans les attaques de M. Spanheim et les réponses de M. Amyrault ; il ajoute, il est vrai, par correctif : s’il n’y a pas plus sujet de pleurer que de se divertir, en voyant les faiblesses de l’homme. Mais l’amusement du curieux, on le sent, est chose essentielle pour lui. Il se met à la fenêtre et regarde passer chaque chose ; les nouvelles mêmes l’amusent. Il est nouvelliste à toute outrance ; sa curiosité est affamée par les victoires de Louis XIV. Il amuse son frère par le récit de la mort du comte de Saint-Pol. Plus loin, il exprime