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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/46

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rants. Mairet tenait pour ; Claveret se déclarait contre : Rotrou s’en souciait peu ; Scudery en discourait emphatiquement. Dans les diverses pièces qu’il composa en cet espace de cinq années, Corneille s’attacha à connaître à fond les habitudes du théâtre et à consulter le goût du public ; nous n’essaierons pas de le suivre dans ces tâtonnements. Il fut vite agréé de la ville et de la cour ; le cardinal le remarqua et se l’attacha comme un des cinq auteurs ; ses camarades le chérissaient et l’exaltaient à l’envi. Mais il contracta en particulier avec Rotrou une de ces amitiés si rares dans les lettres, et que nul esprit de rivalité ne put jamais refroidir. Moins âgé que Corneille, Rotrou l’avait pourtant précédé au théâtre, et, au début, l’avait aidé de quelques conseils. Corneille s’en montra reconnaissant au point de donner à son jeune ami le nom touchant de père ; et certes s’il nous fallait indiquer, dans cette période de sa vie, le trait le plus caractéristique de son génie et de son âme, nous dirions que ce fut cette amitié tendrement filiale pour l’honnête Rotrou, comme, dans la période précédente, ç’avait été son pur et respectueux amour pour la femme dont nous avons parlé. Il y avait là-dedans, selon nous, plus de présage de grandeur sublime que dans Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale, l’Illusion, et pour le moins autant que dans Médée.

Cependant Corneille faisait de fréquentes excursions à Rouen. Dans l’un de ces voyages, il visita un M. de Châlons, ancien secrétaire des commandements de la reine-mère, qui s’y était retiré dans sa vieillesse : « Monsieur, lui dit le vieillard après les premières félicitations, le genre de comique que vous embrassez ne peut vous procurer qu’une gloire passagère. Vous trouverez dans les Espagnols des sujets qui, traités dans notre goût par des mains comme les vôtres, produiraient de grands effets. Apprenez leur langue, elle est aisée ; je m’offre de vous montrer ce que j’en sais, et, jusqu’à ce que vous soyez en état de lire par vous-même, de vous traduire quelques endroits de Guillen de Castro. » Ce