Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il en résulte que sir Herbert Croft, ancien élève de l’évêque Lowth qui a écrit l’Essai sur la Poésie des Hébreux, l’élève aussi et le collaborateur du docteur Johnson soit pour la Vie d’Young, soit pour les travaux du Dictionnaire, avait de plus en plus creusé et raffiné dans les recherches littéraires et dans l’étude singulière des mots. Doué par la nature de l’organe le plus exquis des commentateurs, il l’avait encore armé d’une loupe grossissante qui ne se fixait plus décidément que sur les infiniment petits de la grammaire. « M. le chevalier Croft, écrivait de lui Nodier émancipé dans un article un peu railleur, peut se dire hautement l’Épicure de la syntaxe et le Leibnitz du rudiment ; il a trouvé l’atome, la monade grammaticale.... » Quand il s’appliquait à un classique, sous prétexte de l’éclaircir, il y piquait de tous points ses vrilles imperceptibles et petit à petit destructives, presque comme celles des insectes rongeurs particuliers aux bibliothèques. Son analyse pointilleuse prétendait mettre à nu, par exemple, dans telle période de Massillon (car sir Herbert travaillait beaucoup sur nos auteurs français), une quantité déterminée de consonnances et d’assonnances qu’une éloquence harmonieuse sait trouver d’elle-même, mais qu’elle dérobe à la critique et qu’à ce degré de rigueur elle ne calcule jamais. Ce fut durant la participation de Nodier, comme secrétaire, aux travaux du chevalier, que celui-ci fit paraître son Horace éclairci par la ponctuation, ouvrage curieux et subtil, dont le titre seul promet, parmi les hasards de la conjecture, bien des aperçus piquants. À ses profondes préoccupations érudites, sir Herbert joignait par accident certaines vues libres, romantiques, comme des ressouvenirs du biographe d’Young. Il fut le premier à tirer d’un entier oubli le dernier Homme de Granville, cette admirable ébauche d’épopée, s’écriait Nodier, et qui fera la gloire d’un plagiaire heureux. On voit par

    de Littérature et de Critique de Charles Nodier, recueillis par Barginet (de Grenoble), 1820.