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CHARLES NODIER
APRÈS LES FUNÉRAILLES[1]


La mort est à l’œuvre et frappe coup sur coup. Hier la tombe se fermait sur Casimir Delavigne, elle s’ouvre aujourd’hui pour Charles Nodier. La littérature contemporaine, qu’on dit si éparse et sans drapeau, ne se donne plus rendez-vous qu’à de funèbres convois. La mort de Charles Nodier n’a pas semblé moins prématurée que celle de Casimir Delavigne ; et quoiqu’il eût passé le terme de soixante ans, ce qui est toujours un long âge pour une vie si remplie de pensées et d’émotions, on ne peut, quand on l’a connu, c’est-à-dire aimé, s’ôter de l’idée qu’il est mort jeune. C’est que Nodier l’était en effet ; une certaine jeunesse d’imagination et de poésie a revêtu jusqu’au bout chacune de ses paroles, chaque ligne échappée de lui ; le souffle léger ne l’a pas quitté un instant. Quand il n’était point brisé par la fatigue et succombant à la défaillance, il se relevait aussitôt et redevenait le Nodier de vingt ans par la verve, par le jeu de la physionomie et le geste, même par l’attitude. Il y a de ces organisations élancées et gracieuses qui ressemblent à un peuplier : on a dit de cet arbre qu’il a toujours l’air jeune, même quand il est vieux. Dans des vers charmants que les lecteurs de cette Revue n’ont certes pas oubliés, Alfred de

  1. Nodier est mort le 27 janvier 1844. Les pages suivantes parurent quelques jours après, dans la Revue des Deux Mondes.