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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/497

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Mais reviens à la vesprée
Peu parée,
Bercer encor ton ami
Endormi.

Nodier, depuis bien des années, et même sans qu’aucune maladie positive se déclarât, ressentait souvent des fatigues extrêmes qui le faisaient se mettre au lit avant le soir, chercher le sommeil avant l’heure. Il aimait le sommeil, comme La Fontaine, et il l’a chanté en des vers délicieux, peu connus et que nous demandons à citer, comme exemple du jeu facile et habituel de cette fantaisie sensible :

LE SOMMEIL.

Depuis que je vieillis, et qu’une femme, un ange,
Souffre sans s’émouvoir que je baise son front ;
Depuis que ces doux mots que l’amour seul échange
Ne sont qu’un jeu pour elle et pour moi qu’un affront ;

Depuis qu’avec langueur j’assiste à la veillée
Qu’enchantent son langage et son rire vermeil,
Et la rose de mai sur sa joue effeuillée,
Je n’aime plus la vie et j’aime le Sommeil ;

Le Sommeil, ce menteur au consolant mystère,
Qui déjoue à son gré les vains succès du Temps,
Et sur les cheveux blancs du vieillard solitaire
Épand l’or du jeune âge et les fleurs du printemps.

Il vient ; et, bondissant, la Jeunesse animée
Reprend ses jeux badins, son essor étourdi ;
Et je puise l’amour à sa coupe embaumée
Où roule en serpentant le myrte reverdi.

Comme un enchantement d’espérance et de joie,
Il vient avec sa cour et ses chœurs gracieux,
Où, sous des réseaux d’or et des voiles de soie,
S’enchaînent des Esprits inconnus dans les cieux ;