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Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/221

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mais le père la retint, et elle tomba, pâle comme si elle eût été morte, dans les bras de François, son fils aîné, qui jurait de chagrin et montrait le poing au tailleur d’un air de menace. Tire-à-gauche ne fit qu’en rire, d’un rire affreux qui ressemblait au bruit d’une scie dans la pierre, et il doubla le pas, ce pas gigantesque, fantastique, qu’il était impossible de suivre.

Clopinet, croyant que sa mère était morte et voyant que rien ne pouvait le sauver, souhaita de mourir aussi, laissa tomber sa tête sur l’épaule monstrueuse du tailleur et perdit connaissance.

Alors le tailleur, le trouvant trop lourd et le jugeant endormi, le mit sur son âne, qu’il avait laissé paître dans la prairie, et qui était aussi petit, aussi laid et aussi boiteux que lui. Il lui allongea un grand coup de pied pour le faire marcher et ne s’arrêta plus qu’à trois lieues de là, dans les dunes.

Là il se coucha pour faire un somme, sans se soucier de voir si l’enfant dormait tout de bon, ou s’il était malade. Clopinet, en ouvrant les yeux, se crut seul, et regarda autour de lui sans comprendre où il était ; c’était un endroit singulier qu’il n’avait jamais vu et qui ne ressemblait à aucun autre. Il se trouvait comme enfermé dans un creux de gazon épais et rude, qui croissait en grosses touffes sur un terrain inégal, relevé de tous côtés en pointes crochues ; c’étaient les déchirures des grandes marnes grises qui s’étendent, entre Villers et Beuzeval, sur le rivage de la mer et qui la cachent aux regards quand on les suit par le milieu de leur épaisseur.