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Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/337

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vue de loin, avait un peu l’air d’une statue énorme, il faisait un signe de croix et m’ordonnait de cracher en me donnant l’exemple. C’était, selon lui, faire acte de bon chrétien, attendu que ce géant Yéous, qui donnait son nom au plateau, était un dieu païen, autant dire un démon ennemi de la race humaine. Longtemps le géant, ainsi expliqué, me fit peur ; mais à force de cracher en l’air à son intention, voyant qu’il souffrait ces insultes sans bouger, j’arrivai à le mépriser profondément.

Un jour, — j’avais alors huit ans, je me souviens très-bien, — c’était vers midi, mon père travaillait dans notre petit jardin, ma mère et mes sœurs, — Maguelonne, qui déjà savait traire et soigner les vaches, Myrtile, qui commençait à marcher seule, — étaient au bout de la rencluse avec les animaux ; moi, j’étais occupé à battre le beurre à deux pas de la maison. Voilà qu’un bruit comme celui de la foudre court sur ma tête avec un coup de vent qui me renverse, et je tombe étourdi, assourdi, comme assommé, bien que je n’eusse aucun mal. Je reste là immobile pendant un bon moment sans rien comprendre à ce qui m’arrive.

Des cris affreux me réveillent. Je me lève, et, me trouvant en face de la maison, je ne la vois plus : elle est effondrée sur le sol, écrasée sous des pierres énormes qui, poussées par d’autres, commencent à s’ébranler et à rouler vers moi. Je comprends que c’est quelque chose comme une avalanche, et je me sauve, éperdu, sans savoir où je vais. J’arrive auprès de ma mère et de mes sœurs, qui m’appelaient avec