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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 4.djvu/42

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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je regarde et je touche tout cela, hébétée, et me demandant si j’aurai mon bon sens, le jour où je comprendrai enfin qu’elle ne reviendra pas et que c’est elle qu’on vient d’enterrer sous mes yeux.

Vous voyez, je retombe toujours dans mon déchirement. Voilà pourquoi je ne peux écrire presque à personne. Il y a peu de cœurs que je ne fatiguerais pas, ou que je ne ferais pas trop souffrir. Je vous parle, à vous, parce que vous êtes comme moi à moitié dans l’autre vie, et, pour le moment, j’espère avec la bienfaisante placidité que j’avais naguère, quand je n’étais pas si fatiguée d’attendre. — Mais vous aviez le corps malade. Dites-moi donc que vous êtes mieux, avant que je quitte Nohant. Vous avez une grande ressource : c’est de pouvoir vivre à l’habitude dans le monde des idées où je vois trop en poète, c’est-à-dire avec ma sensibilité plus qu’avec mon raisonnement. Vous avez une lucidité soutenue dans ce monde-là, il me semble. C’est là qu’il faudrait pouvoir toujours regarder, sans préoccupation des soucis inévitables de la vie matérielle, des devoirs qui excèdent quelquefois nos forces, et sans ces déchirements d’entrailles que rien ne peut apaiser. C’est une loi providentielle à coup sûr que la tendresse folle des mères ; mais la Providence est bien dure à l’homme, à la femme surtout. Cher ami, adieu ; je suis à vous de cœur et d’esprit.

G. SAND.