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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/218

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Nos pères avaient la résignation, le dégoût de la vie présente, le mépris de la terre. Cela ne nous est plus permis. Nous sentons que mépriser le jour où nous sommes est lâche et criminel, et pourtant nous tombons dans ce crime à chaque instant. — Pas vous ! non, je vois bien que vous vivez toujours d’une idée intense. Vous voyez le fait, vous cherchez l’action, vous rêvez au moyen. Vous vous demandez comment la France peut sauver la France ; vous êtes militaire parce que vous êtes militant ; c’est beau et bien, je vous envie.

Moi, je ne doute pas des bras, je crains pour les cœurs. Que la guerre s’allume sur une grande ligne, avant peu, je le crois ; que nous nous défendions bien, je l’espère ; mais serons-nous plus forts après ? Est-ce parce que nous gagnerons des batailles que nous serons plus hommes et que nous comprendrons mieux la vérité ? En 93, nous défendions une idée ; en 1815, nous ne défendions que le sol. N’importe, le nom sacré de la France est encore un prestige ; vous avez raison ; ne crions pas nos douleurs et, jusqu’à la mort, cachons nos blessures.

Amitiés dévouées de Maurice, et à vous de tout mon cœur.

G. SAND.