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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/208

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le public voit un défaut et s’y bute ; ne pas comprendre du tout l’irrite. Il veut être malin et deviner. Il ne tient pas compte de mille qualités. Enfin, il est médiocre, puisqu’il est le nombre.

Il y a deux écoles, je dirais volontiers deux religions dans les arts. La première dédaigne la médiocrité, le nombre, le public. Elle dit, avec raison, que peu de personnes peuvent comprendre les choses élevées et qu’il faut travailler pour le peu d’esprits délicats sans s’occuper des autres ; elle appelle vulgarité tout ce qui est une concession à la lente et lourde intelligence des masses, c’est l’école de Beethoven.

L’autre école dit qu’il faut être compris de tous, parce que, dès que l’on se met en rapport avec la foule, il faut se mettre en communication avec les cœurs et les consciences ; ne veut-on être compris que de soi, qu’on chante tout seul au fond des bois ! Mais, si un auditoire accourt, fût-il composé de faunes, et que l’on continue à chanter, il faut se résigner à parler à ces génies incultes de façon à les éclairer et à les élever au-dessus d’eux-mêmes par des paraboles claires ou tout au moins pénétrables.

J’ai longtemps hésité entre ces deux écoles. Je me suis rangée à celle de Mozart, en me disant que, si j’avais dans l’âme un bon ou un beau sentiment, je devais lui trouver une expression qui le fît entrer dans beaucoup d’autres âmes ; que je ne devais en dédaigner aucune ; enfin que, si Mozart et Molière n’eussent pas daigné être clairs, je ne serais jamais arrivée à com-