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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/270

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une tâche de confiance et de conviction, plus de colère et plus de tristesse, soyons logiques.

Je suis arrivée, moi, à un état philosophique d’une sérénité très satisfaisante et je n’ai rien surfait en te disant que toutes les misères qu’on peut me faire, ou toute l’indifférence qu’on peut me témoigner, ne me touchent réellement plus et ne m’empêchent pas, non seulement d’être heureuse en dehors de la littérature, mais encore d’être littéraire avec plaisir et de travailler avec joie.

Tu as été content de mes deux romans ? Je suis payée. Je crois qu’ils sont bien, et le silence qui a envahi ma vie (il faut dire que je l’ai cherché) est plein d’une bonne voix qui me parle et me suffit. Je n’ai pas monté aussi haut que toi dans mon ambition. Tu veux écrire pour les temps. Moi, je crois que, dans cinquante ans, je serai parfaitement oubliée et peut-être durement méconnue. C’est la loi des choses qui ne sont pas de premier ordre, et je ne me suis jamais crue de premier ordre. Mon idée a été plutôt d’agir sur mes contemporains, ne fût-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partager mon idéal de douceur et de poésie. J’ai atteint ce but jusqu’à un certain point, j’ai fait du moins pour cela tout mon possible, je le fais encore, et ma récompense est d’en approcher toujours un peu plus.

Voilà pour moi ; mais, pour toi, le but est plus vaste, je le vois bien, et le succès plus lointain. Alors tu devrais te mettre plus d’accord avec toi en étant encore plus calme et plus content que moi-même. Tes colères