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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/371

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leur manque et à toi surtout, une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie. L’art n’est pas seulement de la peinture. La vraie peinture est, d’ailleurs, pleine de l’âme qui pousse la brosse. L’art n’est pas seulement de la critique et de la satire : critique et satire ne peignent qu’une face du vrai.

Je veux voir l’homme tel qu’il est. Il n’est pas bon ou mauvais, il est bon et mauvais. Mais il est quelque chose encore,… — la nuance ! la nuance qui est pour moi le but de l’art, — étant bon et mauvais, il a une force intérieure qui le conduit à être très mauvais et un peu bon, — ou très bon et un peu mauvais.

Il me semble que ton école ne se préoccupe pas du fond des choses et qu’elle s’arrête trop à la surface. À force de chercher la forme, elle fait trop bon marché du fond, elle s’adresse aux lettrés. Mais il n’y a pas de lettrés proprement dits. On est homme avant tout. On veut trouver l’homme au fond de toute histoire et de tout fait. Ç’a été le défaut de l’Éducation sentimentale, à laquelle j’ai tant réfléchi depuis, me demandant pourquoi tant d’humeur contre un ouvrage si bien fait et si solide. Ce défaut, c’était l’absence d’action des personnages sur eux-mêmes. Ils subissaient le fait et ne s’en emparaient jamais. Eh bien, je crois que le principal intérêt d’une histoire, c’est ce que tu n’as pas voulu faire. À ta place, j’essayerais le contraire, tu te renourris pour le moment de Shakspeare, et bien tu fais ! c’est celui-là qui met les hommes aux prises avec les faits ; remarque que, par eux, soit en