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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/183

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amant auprès d’elle, et les battements de son propre cœur.

« Madame, dit Marcus en se retournant tout à coup vers elle, ne connaissez-vous pas l’air qu’on chante maintenant, et ne vous plairait-il pas de vous arrêter pour entendre ce magnifique ténor ?

— Quels que soient l’air et la voix, répondit Consuelo préoccupée, arrêtons-nous ou continuons ; que votre volonté soit faite. »

La barque touchait presque au pied du château. On pouvait distinguer les figures placées dans l’embrasure des fenêtres, et même celles qui passaient dans la profondeur des appartements. Ce n’étaient plus des spectres flottant comme dans un rêve, mais des personnages réels, des seigneurs, de grandes dames, des savants, des artistes, dont plusieurs n’étaient pas inconnus à Consuelo. Mais elle ne fit aucun effort de mémoire pour retrouver leurs noms, ni les théâtres ou les palais où elle les avait déjà aperçus. Le monde était redevenu tout à coup pour elle une lanterne magique sans signification et sans intérêt. Le seul être qui lui parût vivant dans l’univers, c’était celui dont la main brûlait furtivement la sienne sous les plis des manteaux.

« Ne connaissez-vous pas cette belle voix qui chante un air vénitien ? » demanda de nouveau Marcus, surpris de l’immobilité et de l’apparente indifférence de Consuelo.

Et comme elle ne paraissait entendre ni la voix qui lui parlait ni celle qui chantait, il se rapprocha un peu et s’assit sur le banc vis-à-vis d’elle pour renouveler sa question.

« Mille pardons, monsieur, répondit Consuelo, après avoir fait un effort pour écouter ; je n’y faisais pas attention. Je connais cette voix en effet, et cet air, c’est moi qui l’ai composé, il y a bien longtemps. Il est fort mauvais et fort mal chanté.