Aller au contenu

Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287

Mais le vieillard lui faisait signe qu’il avait encore de la force, comme s’il eût craint d’abuser d’un remède céleste et d’user l’inspiration de son ami.

Nous nous dirigions vers le hameau que nous avions laissé sur la droite au fond de la vallée, lorsque nous avions pris le chemin des ruines. Chemin faisant, Spartacus interrogea l’inconnu.

« Tu nous as fait entendre des mélodies incomparables, lui dit-il, et j’ai compris que, par ce brillant prélude, tu voulais disposer nos sens à l’enthousiasme qui te déborde, tu voulais t’exalter toi-même, comme les pythonisses et les prophètes, pour arriver à prononcer tes oracles, armé de toute la puissance de l’inspiration, et tout rempli de l’esprit du Seigneur. Parle donc maintenant. L’air est calme, le sentier est facile, la lune éclaire nos pas. La nature entière semble plongée dans le recueillement pour t’écouter, et nos cœurs appellent tes révélations. Notre vaine science, notre orgueilleuse raison, s’humilieront sous ta parole brûlante. Parle, le moment est venu. »

Mais l’inconnu refusa de s’expliquer.

« Que te dirais-je que je ne t’aie dit tout à l’heure dans une langue plus belle ? Est-ce ma faute si tu ne m’as pas compris ? Tu crois que j’ai voulu parler à tes sens, et c’était mon âme qui te parlait ! Que dis-je ! c’était l’âme de l’Humanité tout entière qui te parlait par la mienne. J’étais vraiment inspiré alors. Maintenant je ne le suis plus. J’ai besoin de me reposer. Tu éprouverais le même besoin si tu avais reçu tout ce que je voulais faire passer de mon être dans le tien. »

Il fut impossible à Spartacus d’en obtenir autre chose ce soir-là. Quand nous eûmes atteint les premières chaumières :

« Amis, nous dit l’inconnu, ne me suivez pas davan-