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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/102

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te communiquer ses pensées. Peut-être accuseras-tu ce pâle intermédiaire de prêter à ses héros des sentiments et des idées qu’ils ne peuvent avoir. À ce reproche, il n’a qu’un mot à répondre : informe-toi. Quitte les sommets où la muse littéraire se tient depuis si longtemps isolée de la grande masse du genre humain. Descends dans ces régions où la poésie comique puise si largement pour le théâtre et la caricature ; daigne envisager la face sérieuse de ce peuple pensif et profondément inspiré que tu crois encore inculte et grossier : tu y verras plus d’un Pierre Huguenin à l’heure qu’il est. Regarde, regarde, je t’en conjure, et ne prononce pas sur lui l’arrêt injuste qui le condamne à végéter dans l’ignorance et la férocité. Connais ses défauts et ses vices, car il en a, et je ne te les farderai point ; mais connais aussi ses grandeurs et ses vertus : et tu te sentiras, à son contact, plus naïf et plus généreux que tu ne l’as été depuis longtemps.

Ce qu’il y a d’admirable dans le peuple, c’est la simplicité du cœur, cette sainte simplicité, perdue pour nous, hélas ! depuis l’énorme abus que nous avons fait de la forme de nos pensées. Chez le peuple, toute forme est nouvelle, et la vérité sous celle du lieu commun lui arrache encore des larmes d’enthousiasme et de conviction. Ô noble enfance de l’âme ! source d’erreurs funestes, d’illusions sublimes et de dévouements héroïques, honte à qui t’exploite ! Amour et bénédiction à qui te ferait entrer dans l’âge viril en te conservant la pureté sans l’ignorance.

À cause de cette candeur qui réside au fond des âmes incultes, la parole de Pierre Huguenin rencontrait peu d’obstacles dans les bons esprits de sa trempe, et celui de son ami le Corinthien ne se révolta point dans une âcre discussion. Il l’écouta longtemps en silence ; puis il lui dit en lui serrant la main : — Pierre, Pierre, tu en sais