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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/110

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suis forcé de t’attendre. Tu te heurtes à chaque pas, et tu sembles agité comme si tu craignais et désirais à la fois d’arriver au terme de ton voyage.

— Ne m’interroge pas, cher Villepreux, répondit le Corinthien. Je suis ému, je ne le nie pas ; mais il m’est impossible de t’en dire la cause. Je n’ai jamais eu de secrets pour toi, hormis un seul que je te confierai peut-être quelque jour ; mais il me semble que le temps n’est pas venu.

Pierre n’insista pas, et ils arrivèrent chez la Mère au bout de quelques instants. L’auberge était située sur la rive gauche de la Loire, dans le faubourg que le fleuve sépare de la ville. Elle était toujours propre et bien tenue comme de coutume, et les deux amis reconnurent la servante et le chien de la maison. Mais l’hôte ne vint pas comme de coutume au-devant d’eux pour les embrasser fraternellement. — Où donc est l’ami Savinien ? demanda le jeune Amaury d’une voix mal assurée. La servante lui fit un signe comme pour lui couper la parole, et lui montra une petite fille qui disait sa prière au coin du feu, et qui, sur le point de s’aller coucher, avait déjà sa petite coiffe de nuit. Amaury crut que la servante l’engageait à ne pas troubler la prière de l’enfant. Il se pencha sur la petite Manette, et effleura de ses lèvres, avec précaution, les grosses boucles de cheveux bruns qui s’échappaient de son béguin piqué. Pierre commençait à deviner le secret du Corinthien en voyant la tendresse pleine d’amertume avec laquelle il regardait cette enfant.

— Monsieur Villepreux, dit la servante à voix basse en attirant Pierre Huguenin à quelque distance, il ne faut pas que vous parliez de notre défunt maître devant la petite : ça la fait toujours pleurer, pauvre chère âme ! Nous avons enterré monsieur Savinien il n’y a pas plus de quinze jours. Notre maîtresse en a bien du chagrin.