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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/136

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Pauvre père ! Il avait tant de foi à la promesse que je lui ai faite ! Il me faudra donc y manquer !

— Pierre, répondit le Corinthien, je sens que tu es entre deux devoirs : le saint Devoir de liberté et le devoir filial qui n’est pas moins sacré. Il faut que tu partages ton fardeau. J’en veux prendre la moitié. Tu resteras ici pour obéir aux lois de la société, et moi j’irai chez ton père. J’inventerai quelque prétexte pour t’excuser, et je me mettrai à l’ouvrage à ta place. Une heure d’attention va me suffire pour recevoir tes instructions. Je sais comme tu démontres, et tu sais comme je t’écoute. Viens dans le jardin, et avant la nuit je me mettrai en route. Je coucherai chez la Jambe-de-bois, et, avant le jour, je prendrai la diligence qui passe par là. Demain soir je serai chez ton père, après-demain matin dans la chapelle de ton vieux château. De cette manière tout arrangera, et tu auras l’esprit tranquille.

— Cher Amaury, répondit Pierre Huguenin, je n’attendais pas moins de ton amitié et d’un cœur comme le tien ; mais je ne puis accepter ton dévouement. Il est probable que le concours aura lieu, et je ne dois ni ne veux que tu perdes l’occasion de te faire connaître et d’acquérir de la gloire. Ce n’est pas parce que tu es mon élève, mais je suis certain que tu es le plus fort de tous ceux qui se présenteront au concours. Si tu ne remportes le prix du compas d’or, du moins tu feras de telles preuves de talent qu’il en sera parlé sur le Tour de France. De pareilles occasions ne se présentent que rarement, et souvent elles décident de tout l’avenir d’un ouvrier. À Dieu ne plaise que je te fasse perdre celle qui peut s’offrir demain !

— Et moi, je veux la perdre, répondit le Corinthien, et je la perdrais dans tous les cas. Tu me crois bien borné si tu crois que, depuis ce matin, mes idées et mes senti-