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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/170

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broche. Pierre l’oublia d’autant plus vite qu’il prenait plus d’intérêt à la conversation ; elle fut bientôt dirigée vers la politique. — Quelles nouvelles, monsieur Lefort ? demanda le capitaine au commis voyageur — Des nouvelles d’Espagne, répondit celui-ci, et de bonnes ! Tout va bien pour le bon parti ; les Cortès réunies à Séville ont décidé le départ de Ferdinand pour Cadix. Le vieux sournois a fait mine de résister ; on a prononcé sa déchéance à l’unanimité, et une régence provisoire a été nommée : elle se compose de Valdès, Ciscar et Vigodet.

Cette nouvelle parut exciter des transports de joie chez les amis du voyageur ; mais les ouvriers y prirent peu de part. On eut soin de leur expliquer l’importance des succès du libéralisme en Espagne, et l’influence que la victoire de ce parti exercerait en France. À ce sujet, la politique du moment fut débattue sous toutes ses faces. Achille Lefort (c’était le nom du commis voyageur) démontra l’impossibilité de subir le gouvernement des Bourbons en Europe, et vanta le bienfait de l’esprit de propagande qui travaillait sur plusieurs foyers simultanément à la destruction des pouvoirs tyranniques. On s’anima, et lorsque l’on apporta le civet fumant, le commis voyageur exhiba de nombreux échantillons de vins, que Pierre trouva bien recherchés pour être avec vraisemblance destinés à la cave du Vaudois. Il se méfia de ces stimulants au patriotisme, et vit avec plaisir que le maître serrurier se tenait aussi sur ses gardes. Quoiqu’ils ne suspectassent plus la bonne foi du voyageur, ils ne se souciaient ni l’un ni l’autre de s’enrôler sous une bannière qui ne représenterait pas leurs véritables sentiments.

Le Berrichon, ayant accompli ses fonctions de marmiton, se disposa à remplir celles de convive, et vint se placer à la droite de M. Achille Lefort, qui, ainsi que l’avocat, se mit en frais pour lui plaire. Ils y réussirent aisément,