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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/203

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Le père Huguenin, avec son bras en écharpe, les suivait des yeux en souriant. En ce moment, le comte de Villepreux entrait, suivi de sa petite-fille, de la marquise et de M. Lerebours. Le comte, travaillé par la goutte, marchait appuyé d’un côté sur une canne à béquille, de l’autre sur le bras d’Yseult, qui l’accompagnait fidèlement dans toutes ses promenades de propriétaire. M. Lerebours s’était risqué jusqu’à offrir son bras à Joséphine, qui l’avait accepté avec une résignation gracieuse. Le comte s’arrêta à l’entrée de la bibliothèque pour écouter avec curiosité la chanson du Berrichon :

Chassons loin de nous le chagrin
Qui tant d’hommes dévore ;
Pour nous le passé n’est plus rien,
L’avenir rien encore.

— La rime, n’est pas riche, dit le comte à sa fille, mais l’idée va loin.

Et ils s’approchèrent sans être vus. Le bruit de la scie et du rabot couvrait celui de leurs pas et de leurs voix.

— Lequel de tous ceux-là est Pierre Huguenin ? demanda la marquise à l’économe.

— C’est le plus grand et le plus fort de tous, répondit M. Lerebours.

Les yeux de la marquise se portèrent alternativement du Corinthien à l’Ami-du-trait, ne sachant lequel était le plus beau de celui qui ressemblait au chasseur antique avec son air mâle et sa force élégante, ou de l’autre qui rappelait le jeune Raphaël avec sa grâce pensive, sa pâleur et ses longs cheveux.

Le vieux comte, qui avait le goût et le sens du beau, fut frappé aussi du noble trio de têtes grecques que complétait le père Huguenin avec son large front, sa chevelure argentée, les lignes accentuées de son profil et son œil plein de feu.