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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/257

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— Vous comptiez trouver Julie à ma place ? Elle devait venir ici ?

— Nullement, madame ; mais je croyais que votre femme de chambre me faisait quelque espièglerie, et… j’étais si loin de croire…

— Je cherchais un livre que je croyais avoir laissé dans la tribune, et que j’ai aperçu là près de votre sculpture.

— Ce livre est à madame la marquise ? Si je l’avais su…

— Oh ! vous avez très-bien fait de le lire si cela vous a tenté. Voulez-vous que je vous le laisse encore ?

— C’est Pierre qui le lit.

— Et vous, vous ne lisez pas ?

— Je lis beaucoup, au contraire.

Alors elle me demande quels sont les livres que j’ai lus, et la voilà qui cause avec moi comme si nous étions à la contredanse. Il venait un peu de clarté par la fenêtre ouverte, je la voyais près de moi comme une ombre blanche, et le vent jouait dans ses cheveux, qui m’ont paru dénoués. J’étais redevenu si timide que je lui répondais à peine. Je m’étais senti plus hardi quand elle me fuyait ; mais quand elle s’est mise à m’interroger, j’ai senti mon néant, j’ai rougi de mon ignorance, j’ai craint de m’exprimer d’une manière triviale ; j’ai été si lâche que j’en avais honte. Il me semblait qu’elle devait me mépriser. Cependant elle ne s’en allait pas ; sa voix était toute changée, et, en me faisant des questions comme à un enfant qu’on protège, elle paraissait si émue, que je lui ai dit, pour changer la conversation : — Je suis sûr que vous vous êtes fait du mal en tombant. Je sais bien que je devais dire : — Madame la marquise s’est fait du mal. Je n’ai pas voulu le dire ; non, pour rien au monde je ne l’aurais dit. — Je ne me suis pas fait de mal, a-t-elle répondu, mais j’ai eu une telle peur que le cœur me bat