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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/37

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détails, tantôt s’arrêtant pour admirer l’ensemble. Une joie sainte rayonnait sur son visage, sa bouche entr’ouverte ne laissait pas échapper un seul mot, et son père le regardait avec étonnement, comprenant à demi son transport, et se demandant quelle pensée l’agitait pour le faire ainsi paraître fier, assuré, et plus grand de toute la tête qu’à l’ordinaire. Quant à l’économe, il était incapable de rien concevoir à ce ravissement, et comme les deux menuisiers gardaient le silence, il se décida à entamer la conversation.

— Vous voyez, mes amis, leur dit-il de ce ton bénin qui était chez lui le signe précurseur d’un accès de ladrerie, qu’il n’y a pas tant d’ouvrage qu’on pourrait le croire. Je vous ferai observer que les frises et les figurines étant un travail hors de votre compétence, nous ferons venir de Paris des artistes tourneurs et sculpteurs en bois pour raccommoder celles qui sont brisées et pour rétablir celles qui ont disparu. Ainsi vous n’avez à vous occuper que des grosses pièces ; vous aurez à mettre des morceaux dans les panneaux endommagés, à resserrer les parties disjointes, à confectionner çà et là quelques moulures, à rapporter des morceaux dans les corniches, etc. Je pense que vous pouvez faire proprement ces oves ?… Vous, maître Pierre, qui avez voyagé, vous ne serez pas embarrassé par les torsades incrustées en balustres, n’est-ce pas ? Et l’économe accompagnait d’un sourire, moitié paternel, moitié dédaigneux, ces impertinentes dubitations.

Le père Huguenin, qui était assez bon ouvrier pour comprendre la difficulté du travail, à mesure qu’il l’examinait, fronça les sourcils à cette interpellation directe aux talents de son fils. Dans ce moment il était encore partagé entre la secrète jalousie de l’artiste et l’espoir orgueilleux du père. Son front s’éclaircit lorsque Pierre,