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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/72

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Il ne fallait pas plus de deux journées de marche au jeune menuisier pour se rendre à Blois. Il passa la nuit à Celles, dans une auberge de rouliers, et le lendemain, dès la pointe du jour, il se remit en route. La clarté du matin était encore incertaine et pâle, lorsqu’il vit venir à lui un homme de haute taille, ayant comme lui une blouse et un sac de voyage ; mais à sa longue canne, il reconnut qu’il n’était pas de la même société que lui, qui n’en portait qu’une courte et légère. Il se confirma dans cette pensée, en voyant cet homme s’arrêter à une vingtaine de pas devant lui, et se mettre dans l’attitude menaçante du topage. — Tope, coterie ! quelle vocation ? s’écria l’étranger d’une voix de stentor. À cette interpellation, Pierre, à qui les lois de sa Société défendaient le topage, s’abstint de répondre, et continua de marcher droit à son adversaire ; car, sans nul doute, la rencontre allait être fâcheuse pour l’un des deux. Telles sont les terribles coutumes du compagnonnage.

L’étranger, voyant que Pierre n’acceptait pas son défi, en conclut également qu’il avait affaire à un ennemi ; mais comme il devait se mettre en règle, il n’en continua pas moins son interrogatoire suivant le programme. Compagnon ? cria-t-il en brandissant sa canne. Comme il ne reçut pas de réponse, il continua : Quel côté ? quel devoir ? Et voyant que Pierre gardait toujours le silence, il se remit en marche, et, en moins d’une minute, ils se trouvèrent en présence.

À voir la force athlétique et l’air impérieux de l’étranger, Pierre comprit qu’il n’y aurait pas eu de salut pour lui-même si la nature ne l’eût doué, aussi bien que son adversaire, d’une taille avantageuse et de membres vigoureux. — Vous n’êtes donc pas ouvrier ? lui dit l’étranger d’un ton méprisant dès qu’ils se virent face à face.

— Pardonnez-moi, répondit Pierre.