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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/81

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et des mystères : c’est le devoir de la fraternité entre tous les hommes.

Jean le dévorant resta interdit, et regarda Pierre le gavot d’un air moitié méfiant, moitié pénétré. Enfin il s’approcha de lui, et fit le geste de lui tendre la main ; mais il ne put s’y résoudre, et la retira aussitôt.

— Vous êtes un homme singulier, lui dit-il, et les paroles que vous me dites m’enchaînent malgré moi. Il me semble que vous avez beaucoup réfléchi sur des choses dont je n’ai pas eu le temps de m’occuper, et qui cependant, m’ont tourmenté comme des cris de la conscience. Si vous n’étiez pas un gavot, il me semble que je voudrais vous connaître intimement et vous faire parler de ce que vous savez ; mais mon honneur me défend de contracter amitié avec vous. Adieu ! puissiez-vous ouvrir les yeux sur les abominations de votre Devoir de liberté, et venir à nous qui, seuls, possédons l’ancien, le véritable, le très-saint Devoir de Dieu. Si vous aviez pris la bonne voie, j’aurais été heureux de vous y faire admettre et de vous servir de répondant et de parrain. Votre nom eût été Pierre le Philosophe.

Ainsi se quittèrent les deux compagnons, chacun emportant la pensée, quoique chacun à un degré différent, que ces distinctions et ces inimitiés du compagnonnage étouffaient bien des lumières et brisaient bien des sympathies.

CHAPITRE VIII.

Vers le soir, Pierre Huguenin arriva sur les bords de la Loire. À la vue de ce beau fleuve qui promenait finalement son cours paisible au milieu des prairies, il se sentit tout à coup comme soulagé de la pesante chaleur du jour, et il marcha quelque temps sur le sable fin, par