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Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/139

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le camp de mayence

Et le haùptmann, rougissant jusqu’aux oreilles, essayait de ne pas perdre l’air digne qui sied à un représentant d’une nation sérieuse. Car on ne mangeait pas bien au camp de Mayence. La chère y était maigre, encore que cet adjectif puisse tromper le lecteur en éveillant en lui des idées de viande qu’on n’y connaissait que sous des espèces rares, chiches, pauvres et douteuses. Je ne me trompais pas, quand je prévoyais que le régime plantureux de la quarantaine ne durerait point. Il n’y a pas plus de ressemblance entre les repas du réfectoire et ceux du saloir qu’entre les dîners de chez Chartier et ceux de chez Paillard. Mais il était nécessaire que nous écrivissions à nos familles une carte postale débordante d’optimisme.

Ai-je besoin d’ajouter que les prisonniers ne s’attardent pas en face de la soupe russe et des pruneaux ? En moins de dix minutes, ils s’en allèrent les uns après les autres, emportant leur serviette et leur pain, et la plupart d’entre eux, du moins ceux qui sont captifs depuis assez longtemps pour recevoir des colis de France, regagnèrent en hâte la chambre où ils mangeraient enfin. Mes camarades se restaurèrent avec leurs provisions. Moi, qui n’avais rien, je me contentai d’étendre sur un morceau de pain un peu de cette confiture d’abricots que j’avais achetée à la kantine et qui n’avait certainement d’abricots que la couleur et le nom peinturluré sur l’étiquette du pot. Ce régal achevé, je m’allongeai sur mon lit et je voulus m’intéresser à la Conquête de Plassans. Mes camarades causaient. L’odeur des plats qu’ils mijotaient sur des lampes à alcool me tourmentait. Et j’avoue qu’un sentiment assez cruel me traversa, quand ils dégus-