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Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/192

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le purgatoire

Mais, par ce qui se passait en 1916, je crois pouvoir affirmer que le temps n’a dû que raffermir cette entente entre tous les alliés. Plus que sur le champ de bataille, en effet, on apprend à se connaître et à s’aimer dans les camps d’Allemagne. Les malheurs communs rapprochent plus encore que les joies partagées. Ce n’est pas à ce résultat que l’Allemagne voulait arriver en réunissant dans la même infortune des représentants des différentes nations qu’elle cherchait à disjoindre, et pendant la guerre et en vue des temps futurs. Mais c’est à ce résultat qu’elle est arrivée.

En captivité, dans ces heures d’une longueur mortelle, on prend conscience de soi-même et des autres. Rude école ! Si l’Allemagne, en nous imposant toutes les vexations, tendait à nous déprimer et à nous diminuer, elle s’est trompée, une fois de plus, comme toujours. Le prisonnier français échappe au maléfice. Combien de fois n’ai-je pas retourné ces idées dans ma tête, là-bas, aux jours les plus difficiles ! Je m’accoudais à la fenêtre, après le dernier appel. La nuit d’été coulait, calme et lente. Par-dessus la cour baignée de lumière électrique, au delà du bourg endormi, au delà des monts boisés, je fuyais vers l’Ouest, loin, très loin de ces endroits maudits, et je sentais contre ma main les battements de mon cœur. Je dominais tous les camps de l’Allemagne, du haut de ma fenêtre de Vöhrenbach. Car nous le dominions, ce camp de Vöhrenbach.

C’est un lieu tragique, un vallon,
Un pays sans grâce et sans gloire,
Trop vert, trop gris, trop roux, trop blond,
Quelque part dans la Forêt-Noire.