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Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/225

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le régime des représailles

du camp, toutes les fenêtres étaient noires de têtes penchées, et, soudain, jailli de toutes les bouches, le God save the King éclata par-dessus le camp, vers nos compagnons fidèles qui, de loin, nous répondaient en agitant leurs mouchoirs, et en criant : « Vive la France ! » La neige tombait. Le vieil oberst demeurait immobile au milieu de la cour. Quelles réflexions pouvaient l’occuper ?

Dans l’après-midi, la manifestation eut encore lieu, mais pour saluer l’arrivée des camarades qu’on nous avait promis. Ils s’avançaient, masse épaisse, capotes bleues, képis rouges, escortés par une ribambelle de gosses curieux du spectacle, car tout Vöhrenbach était sur des épines. Une Marseillaise immense courut à la rencontre de nos frères. La kommandantur devenait folle. Le poste sortit en armes. Les soldats firent entrer à coups de crosse les nouveaux prisonniers, que cette réception étonna. Ils nous l’avouèrent par la suite. Ils n’avaient jamais rien vu de pareil. Et pourtant c’étaient d’anciens prisonniers. Ils venaient de Heidelberg, mais il n’y avait parmi eux ni le colonel Colignon, ni le lieutenant Delcassé, ni aucune célébrité politique ou militaire. Sans doute réservait-on le lieutenant Delcassé pour un camp mieux choisi. Car il épuisa toutes les représailles, jusqu’au jour où on l’envoya enfin en Suisse ; mais on l’y envoya trop tard ; il y mourut : les Boches l’avaient tué.

Le soir, dans toutes les chambres, au milieu d’un fouillis de sommiers, de couvertures, de malles, de valises, et d’ustensiles de cuisine, on chantait. Le chef de poste monta pour nous prier de nous taire. Dans la plupart des chambres, il fut conspué. Comme le