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Page:Sardou - Les femmes fortes, 1861.djvu/59

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ACTE DEUXIÈME.

CLAIRE.

Eh ! mon parrain ! laissez les Américains faire à leur guise, ils sont chez eux, et nous sommes chez nous !… Que leurs demoiselles courent les champs… (Elle regarde Jenny) qu’elles sacrifient leur candeur d’enfant au savoir précoce, et se préparent aux luttes de la vie par le danger, tant mieux pour elles, si elles s’en trouvent bien et si leurs mères y consentent… (Regardant Jenny et Gabrielle[1].) Mais j’ai connu la vôtre, chères enfants… C’était une âme si craintive… un cœur si doux et si tendre… Ce n’est pas elle qui eût permis à sa Gabrielle la chasse et l’escrime !… Ce n’est pas de son vivant que Jenny serait sortie au clair de la lune… Car, au moment de fuir, elle se serait dit : Et si ma pauvre mère s’éveille… si elle trouve la chambre vide !… elle va m’appeler et me chercher partout, épouvantée, pleurant, folle de douleur ! Ah ! je suis donc bien coupable… ce que je fais là est donc bien mal… et… n’est-ce pas que tu ne serais pas sortie ?

JENNY, frappée et laissant échapper un cri comme malgré elle.

Oh ! non ! (Elle laisse tomber la clef. — Claire regarde Gabrielle qui se met à genoux lentement, ramasse la clef et la lui présente en lui disant d’un ton suppliant.)

GABRIELLE.

Petite maman !…

CLAIRE., les attirant dans ses bras.

Ah ! chères enfants !

QUENTIN, qui Jean a remis une carte, se levant tout à coup.

Debout, debout ! C’est lui ! c’est Jonathan Quentin !

TOUS.

Jonathan !

TOUPART, avec douleur.

Il n’a pas fait naufrage !

QUENTIN.

Le citoyen de la jeune Amérique !… L’homme moderne !… l’homme sérieux, l’homme pratique !

MADAME TOUPART, vivement.

Ah ! mon Dieu ! suis-je bien coiffée !

DEBORAH.

Un compatriote !…

  1. Toupart, Quentin, Lachapelle et les femmes au fond ; Claire au milieu du théâtre; à l’avant-scène, Jenny Gabrielle.