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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/124

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et l’accent. D’où dérive-t-il ? D’un état antérieur. Le latin avait un système accentuel différent et plus compliqué : l’accent était sur la syllabe pénultième quand celle-ci était longue ; si elle était brève, il était reporté sur l’antépénultième (cf. amī́cus, ánĭma). Cette loi évoque des rapports qui n’ont pas la moindre analogie avec la loi française. Sans doute, c’est le même accent en ce sens qu’il est resté aux mêmes places ; dans le mot français il frappe toujours la syllabe qui le portait en latin : amī́cumami, ánimamâme. Cependant les deux formules sont différentes dans les deux moments, parce que la forme des mots a changé. Nous savons que tout ce qui était après l’accent ou bien a disparu, ou bien s’est réduit à e muet. À la suite de cette altération du mot, la position de l’accent n’a plus été la même vis-à-vis de l’ensemble ; dès lors les sujets parlants, conscients de ce nouveau rapport, ont mis instinctivement l’accent sur la dernière syllabe, même dans les mots d’emprunt transmis par l’écriture (facile, consul, ticket, burgrave, etc.). Il est évident qu’on n’a pas voulu changer de système, appliquer une nouvelle formule, puisque dans un mot comme amī́cumami, l’accent est toujours resté sur la même syllabe ; mais il s’est interposé un fait diachronique : la place de l’accent s’est trouvée changée sans qu’on y ait touché. Une loi d’accent, comme tout ce qui tient au système linguistique, est une disposition de termes, un résultat fortuit et involontaire de l’évolution.

Voici un cas encore plus frappant. En paléoslave slovo, « mot », fait à l’instrum. sg. slovemъ au nom. pl. slova, au gén. pl. slovъ, etc. ; dans cette déclinaison chaque cas a sa désinence. Mais aujourd’hui les voyelles « faibles » ь et ъ, représentants slaves de ĭ et ŭ indo-européen, ont disparu ; d’où en tchèque, par exemple, slovo, slovem, slova, slov ; de même žena, « femme », accus. sg. ženu, nom. pl. ženy, gén. pl. žen. Ici le génitif (slov, žen) a pour exposant zéro. On voit donc qu’un signe matériel n’est pas nécessaire pour