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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/128

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partie n'a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l'état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. Tout ceci s'applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique. La parole n’opère jamais que sur un état de langue, et les changements qui interviennent entre les états n'y ont eux-mêmes aucune place.

Il n'y a qu'un point où la comparaison soit en défaut ; le joueur d'échecs a l’intention d'opérer le déplacement et d’exercer une action sur le système ; tandis que la langue ne prémédite rien ; c'est spontanément et fortuitement que ses pièces à elle se déplacent — ou plutôt se modifient ; l'umlaut de Hände pour hanti, de Gäste pour gasti (voir p. 120), a produit une nouvelle formation de pluriel, mais a fait surgir aussi une forme verbale comme trägt pour tragit, etc. Pour que la partie d'échecs ressemblât en tout point au jeu de la langue, il faudrait supposer un joueur inconscient ou inintelligent. D'ailleurs cette unique différence rend la comparaison encore plus instructive, en montrant l'absolue nécessité de distinguer en linguistique les deux ordres de phénomènes. Car, si des faits diachroniques sont irréductibles au système synchronique qu'ils conditionnent, lorsque la volonté préside à un changement de ce genre, à plus forte raison le seront-ils lorsqu’ils mettent une force aveugle aux prises avec l’organisation d’un système de signes.

§ 5.

Les deux linguistiques opposées dans leurs méthodes et leurs principes.

L’opposition entre le diachronique et le synchronique éclate sur tous les points.

Par exemple — et pour commencer par le fait le plus