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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/143

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entre termes successifs qu’on saisit sans peine ; il est aisé, souvent même amusant, de suivre une série de transformations. Mais la linguistique qui se meut dans des valeurs et des rapports coexistants présente de bien plus grandes difficultés.

En pratique, un état de langue n’est pas un point, mais un espace de temps plus ou moins long pendant lequel la somme des modifications survenues est minime. Cela peut être dix ans, une génération, un siècle, davantage même. Une langue changera à peine pendant un long intervalle, pour subir ensuite des transformations considérables en quelques années. De deux langues coexistant dans une même période, l’une peut évoluer beaucoup et l’autre presque pas ; dans ce dernier cas l’étude sera nécessairement synchronique, dans l’autre diachronique. Un état absolu se définit par l’absence de changements, et comme malgré tout la langue se transforme, si peu que ce soit, étudier un état de langue revient pratiquement à négliger les changements peu importants, de même que les mathématiciens négligent les quantités infinitésimales dans certaines opérations, telles que le calcul des logarithmes.

Dans l’histoire politique on distingue l’époque, qui est un point du temps, et la période, qui embrasse une certaine durée. Cependant l’historien parle de l’époque des Antonins, de l’époque des Croisades, quand il considère un ensemble de caractères qui sont restés constants pendant ce temps. On pourrait dire aussi que la linguistique statique s’occupe d’époques ; mais état est préférable ; le commencement et la fin d’une époque sont généralement marqués par quelque révolution plus ou moins brusque tendant à modifier l’état de choses établi. Le mot état évite de faire croire qu’il se produise rien de semblable dans la langue, En outre le terme d’époque, précisément parce qu’il est emprunté à l’histoire, fait moins penser à la langue elle-même qu’aux circonstances qui l’entourent et la condi-