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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/162

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immédiatement fixer la valeur si l’on ne considère pas ce qu’il y a autour de lui ; il y a des langues où il est impossible de dire « s’asseoir au soleil ».

Ce qui est dit des mots s’applique à n’importe quel terme de la langue, par exemple aux entités grammaticales. Ainsi la valeur d’un pluriel français ne recouvre pas celle d’un pluriel sanscrit, bien que la signification soit le plus souvent identique : c’est que le sanscrit possède trois nombres au lieu de deux (mes yeux, mes oreilles, mes bras, mes jambes, etc., seraient au duel) ; il serait inexact d’attribuer la même valeur au pluriel en sanscrit et en français, puisque le sanscrit ne peut pas employer le pluriel dans tous les cas où il est de règle en français ; sa valeur dépend donc bien de ce qui est en dehors et autour de lui.

Si les mots étaient chargés de représenter des concepts donnés d’avance, ils auraient chacun, d’une langue à l’autre, des correspondants exacts pour le sens ; or il n’en est pas ainsi. Le français dit indifféremment louer (une maison) pour « prendre à bail » et « donner à bail », là où l’allemand emploie deux termes : mieten et vermieten ; il n’y a donc pas correspondance exacte des valeurs. Les verbes schätzen et urteilen présentent un ensemble de significations qui correspondent en gros à celles des mots français estimer et juger ; cependant sur plusieurs points cette correspondance est en défaut.

La flexion offre des exemples particulièrement frappants. La distinction des temps, qui nous est si familière, est étrangère à certaines langues ; l’hébreu ne connaît pas même celle, pourtant fondamentale, entre le passé, le présent et le futur. Le protogermanique n’a pas de forme propre pour le futur ; quand on dit qu’il le rend par le présent, on s’exprime improprement, car la valeur d’un présent n’est pas la même en germanique que dans les langues pourvues d’un futur à côté du présent. Les langues slaves distinguent régulièrement deux aspects du verbe : le per-