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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/209

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adoptant la langue nouvelle, les populations antérieures y ont introduit quelque chose de leurs habitudes phoniques ? Cela est admissible et assez naturel ; mais si l’on fait appel de nouveau aux facteurs impondérables de la race, etc., nous retombons dans les obscurités signalées plus haut.

VII. Une dernière explication — qui ne mérite guère ce nom — assimile les changements phonétiques aux changements de la mode. Mais ces derniers, personne ne les a expliqués : on sait seulement qu’ils dépendent des lois d’imitation, qui préoccupent beaucoup les psychologues. Toutefois, si cette explication ne résout pas le problème, elle a l’avantage de le faire rentrer dans une autre plus vaste : le principe des changements phonétiques serait purement psychologique. Seulement, où est le point de départ de l’imitation, voilà le mystère, aussi bien pour les changements phonétiques que pour ceux de la mode.

§ 5.

L’action des changements phonétiques est illimitée.

Si l’on cherche à évaluer l’effet de ces changements, on voit très vite qu’il est illimité et incalculable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas prévoir où ils s’arrêteront. Il est puéril de croire que le mot ne peut se transformer que jusqu’à un certain point comme s’il y avait quelque chose en lui qui pût le préserver. Ce caractère des modifications phonétiques tient à la qualité arbitraire du signe linguistique, qui n’a aucun lien avec la signification.

On peut bien constater à un moment donné que les sons d’un mot ont eu à souffrir et dans quelle mesure, mais on ne saurait dire d’avance jusqu’à quel point il est devenu ou deviendra méconnaissable.

Le germanique a fait passer l’indo-européen *aiwom (cf. lat. aevom) à *aiwan, *aiwa, *aiw, comme tous les mots présentant la même finale ; ensuite *aiw est devenu en ancien allemand ew, comme tous les mots renfermant le groupe