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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/250

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les apparences du phénomène d’évolution et d’atteindre son essence. Ici comme en synchronie la connaissance des unités est indispensable pour distinguer ce qui est illusion et ce qui est réalité (voir p. 153).

Mais une autre question, particulièrement délicate, est celle de l’identité diachronique. En effet, pour que je puisse dire qu’une unité a persisté identique à elle-même, ou que tout en persistant comme unité distincte, elle a changé de forme ou de sens — car tous ces cas sont possibles, — il faut que je sache sur quoi je me fonde pour affirmer qu’un élément pris à une époque, par exemple le mot français chaud, est la même chose qu’un élément pris à une autre époque, par exemple le latin calidum.

À cette question, on répondra sans doute que calidum a dû devenir régulièrement chaud par l’action des lois phonétiques, et que par conséquent chaud = calidum. C’est ce qu’on appelle une identité phonétique. Il en est de même pour sevrer et sēparāre ; on dira au contraire que fleurir n’est pas la même chose que flōrēre (qui aurait donné *flouroir), etc.

Ce genre de correspondance semble au premier abord recouvrir la notion d’identité diachronique en général. Mais en fait, il est impossible que le son rende compte à lui seul de l’identité. On a sans doute raison de dire que lat. mare doit paraître en français sous la forme de mer parce que tout a est devenu e dans certaines conditions, parce que e atone final tombe, etc. ; mais affirmer que ce sont ces rapports ae, ezéro, etc., qui constituent l’identité, c’est renverser les termes, puisque c’est, au contraire au nom de la correspondance mare : mer que je juge que a est devenu e, que e final est tombé, etc.

Si deux personnes appartenant à des régions différentes de la France disent l’une se fâcher, l’autre se fôcher, la différence est très secondaire en comparaison des faits grammaticaux qui permettent de reconnaître dans ces deux