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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/298

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Par suite de cette idée assez confuse d’antiquité qui fait du sanscrit quelque chose d’antérieur à toute la famille, il arriva plus tard que les linguistes, même guéris de l’idée qu’il est une langue mère, continuèrent à donner une importance trop grande au témoignage qu’il fournit comme langue collatérale.

Dans ses Origines indo-européennes (voir p. 306), Ad. Pictet, tout en reconnaissant explicitement l’existence d’un peuple primitif qui parlait sa langue à lui, n’en reste pas moins convaincu qu’il faut consulter avant tout le sanscrit, et que son témoignage surpasse en valeur celui de plusieurs autres langues indo-européennes réunies. C’est cette illusion qui a obscurci pendant de longues années des questions de première importance, comme celle du vocalisme primitif.

Cette erreur s’est répétée en petit et en détail. En étudiant des rameaux particuliers de l’indo-européen on était porté à voir dans l’idiome le plus anciennement connu le représentant adéquat et suffisant du groupe entier, sans chercher à mieux connaître l’état primitif commun. Par exemple, au lieu de parler de germanique, on ne se faisait pas scrupule de citer tout simplement le gotique, parce qu’il est antérieur de plusieurs siècles aux autres dialectes germaniques ; il devenait par usurpation le prototype, la source des autres dialectes. Pour le slave, on se fondait exclusivement sur le slavon ou paléoslave, connu au xe siècle, parce que les autres sont connus à date plus basse.

En fait il est extrêmement rare que deux formes de langue fixées par l’écriture à des dates successives se trouvent représenter exactement le même idiome à deux moments de son histoire. Le plus souvent on est en présence de deux dialectes qui ne sont pas la suite linguistique l’un de l’autre. Les exceptions confirment la règle : la plus illustre est celle des langues romanes vis-à-vis du latin : en remontant du français au latin, on se trouve bien dans la verticale ; le ter-