Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/43

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nisme grammatical ne dépend-il pas constamment des facteurs externes du changement linguistique ? Il semble qu’on explique mal les termes techniques, les emprunts dont la langue fourmille, si on n’en considère pas la provenance. Est-il possible de distinguer le développement naturel, organique d’un idiome, de ses formes artificielles, telles que la langue littéraire, qui sont dues à des facteurs externes, par conséquent inorganiques ? Ne voit-on pas constamment se développer une langue commune à côté des dialectes locaux ?

Nous pensons que l’étude des phénomènes linguistiques externes est très fructueuse ; mais il est faux de dire que sans eux on ne puisse connaître l’organisme linguistique interne. Prenons comme exemple l’emprunt des mots étrangers ; on peut constater d’abord que ce n’est nullement un élément constant dans la vie d’une langue. Il y a dans certaines vallées retirées des patois qui n’ont pour ainsi dire jamais admis un seul terme artificiel venu du dehors. Dira-t-on que ces idiomes sont hors des conditions régulières du langage, incapables d’en donner une idée, que ce sont eux qui demandent une étude « tératologique » comme n’ayant pas subi de mélange ? Mais surtout le mot emprunté ne compte plus comme tel, dès qu’il est étudié au sein du système ; il n’existe que par sa relation et son opposition avec les mots qui lui sont associés, au même titre que n’importe quel signe autochtone. D’une façon générale, il n’est jamais indispensable de connaître les circonstances au milieu desquelles une langue s’est développée. Pour certains idiomes, tels que le zend et le paléo-slave, on ne sait même pas exactement quels peuples les ont parlés ; mais cette ignorance ne nous gêne nullement pour les étudier intérieurement et pour nous rendre compte des transformations qu’ils ont subies. En tout cas, la séparation des deux points de vue s’impose, et plus on l’observera rigoureusement mieux cela vaudra.