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l’âme en bourgeon

Tes yeux de couleur trouble étaient dans la pénombre
Grands ouverts, tes deux yeux encor pleins de mon ombre.
Ton air était sévère et triste. Suivais-tu
Dans l’espace l’essor de ton destin têtu ?
Peut-être ton esprit tâtonnant sur la vie
Voulait-il retrouver mon étreinte ravie ;
Peut-être éprouvais-tu dans ce premier éveil
L’étonnement d’un dieu qui sort de son sommeil,
Ou bien simple animal éclos pour l’aventure
Contemplais-tu l’orgueil muet de la nature.
Si frêle, si menu, tout l’humain rabougri
Se ridait sur ta face où songeaient tes yeux gris ;
Ta bouche avait ces plis amers d’expérience
Et ce dédain railleur qu’offre la connaissance.
Petit vieux insensible au feu de mon regard,
Tu ressemblais à ceux qui sentent le départ
Très proche, ceux qui vont penchés et solitaires
Avec l’air de rentrer déjà dans le mystère.
Je te voyais sorti de l’antre nébuleux
Et pour toi j’avais froid, ô mon secret frileux,
Toi sur qui mes regards intérieurs pleurèrent,
Toi qui courbais mon ciel sur ta petite sphère ;