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Page:Savignon - Filles de la pluie.djvu/151

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Rose me donnait tous ces détails d’une voix sèche. Elle se hâtait, courbée en deux, courant parfois, sa figure maigre et osseuse creusée dans une rudesse violente. Son bonnet de velours, jadis noir, avait jauni et verdi sous les pluies ; la filasse de ses cheveux, mi-blonds, mi-roux, très courts, s’en échappait, voltigeant sur son front, sur son cou hâlé, sur ses joues. De temps en temps, elle en happait une mèche avec sa bouche et la mordillait. Elle était négligée, presque sale, mise comme une pauvresse, malgré qu’elle fût maintenant une des plus riches du pays. Son châle de coton à fleurs s’en allait par lambeaux, le bas de sa jupe s’effritait en dentelle. Et tout, et la sauvagerie de ses traits, l’agitation de ses yeux, son parler saccadé et jusqu’à sa démarche sautillante et rapide, lui donnait cet air particulier qui la fait comparer par les îliennes à une sorcière.

J’ai sondé plusieurs fois son regard quand il se fixait. Je ne l’ai pas fait sans émotion. Car, enfin, elle est grande, cette femme pleine de témérité. J’ai plongé mes yeux dans ses yeux d’un bleu très clair, très clair, presque gris. Et je ne suis pas sûr de n’y avoir point retrouvé l’expression d’une bonté farouche, qui s’ignore, incapable de jugement comme de ré-