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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/10

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marche, et quelle source de malentendu en découle. Il y était résigné et avait su placer sa conviction si haut que ces mécomptes passagers ne pouvaient l’atteindre. Force d’esprit rare en tous les temps, plus rare encore du nôtre où la foi aux doctrines a si peu d’empire et où les consciences flottent au gré de si petits intérêts !

La famille de Jean-Baptiste Say était originaire de Nîmes, d’où elle s’exila, vers la fin du dix-septième siècle, sous le coup de la révocation de l’édit de Nantes. Un témoignage de cet événement est parvenu jusqu’à la génération actuelle, c’est le panier dans lequel l’aïeule fugitive emporta les débris d’une fortune acquise par le travail. Genève ouvrit ses portes aux proscrits et ce fut là que naquit, en 1739, Jean-Étienne Say, père de Jean-Baptiste. Les temps étant devenus meilleurs, Jean-Étienne put se rendre à Lyon, fort jeune encore, pour s’y former à la carrière du commerce chez M. Castanet, protestant comme les Say et comme eux originaire de Nîmes. Ces relations d’employé à chef de maison se changèrent bientôt en liens plus intimes, et Jean-Étienne Say succéda à M. Castanet, après avoir épousé l’une de ses filles. De ce mariage naquit à Lyon Jean-Baptiste Say, le 5 janvier 1767. Son enfance s’écoula dans cette ville industrieuse qu’il aima toujours à revoir et à laquelle le rattachèrent de vifs et profonds souvenirs.

Son père, qui était un homme sensé, s’appliqua à lui inculquer de bonne heure des idées justes et positives. Un oratorien, le père Lefèvre, professait à Lyon un cours très-suivi de physique expérimentale : l’enfant devint l’un de ses auditeurs assidus et puisa dans ses leçons, avec quelques notions élémentaires, un esprit de méthode et des habitudes de réflexion peu ordinaires à cet âge. Plus tard Jean-Baptiste Say se plaisait à reconnaître de quel secours lui avait été ce premier enseignement et cette excursion précoce sur le terrain des phénomènes naturels. À neuf ans, ce fut le tour de l’éducation du pensionnat. Deux savants italiens, nommés Giro et Gorati, étaient venus fonder, près de Lyon, au village d’Écully, une institution qui essayait des procédés nouveaux et se défendait surtout du joug des préjugés. C’est là que le jeune Say fut élevé, sous l’influence des idées et des noms qui honorèrent ce siècle, au bruit des conquêtes de l’intelligence, au souffle des passions qui pénétraient les générations nouvelles. Sur un caractère trempé comme celui de Say, de pareilles impressions devaient être ineffaçables ; il grandit avec les idées du temps, leur voua une sorte de culte et les associa aux découvertes qui devaient illustrer son nom.

Quelques alternatives survenues dans la fortune de son père vinrent toutefois interrompre cette éducation ; le jeune Say dut suivre sa famille à Paris et quitter le pensionnat pour le comptoir. Cependant, quand les chances furent redevenues plus favorables, il obtint d’aller, en compagnie de son frère Horace, achever en Angleterre ses études commerciales. Les deux jeunes gens traversèrent la Manche et vinrent se mettre en pension dans le village