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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/13

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sans songer à la fortune ; on met en commun les chances bonnes ou mauvaises de l’avenir, on commence par être heureux et l’on cherche ensuite à se tirer d’affaire. Le jeune ménage s’était placé à la campagne ; des prospectas étaient préparés pour fonder une maison d’éducation, où de jeunes garçons réunis en petit nombre devaient être élevés avec un soin particulier et recevoir un enseignement libéral et varié. Le projet pouvait réussir, mais il fut bientôt abandonné, à la suite d’une visite qu’on reçut un jour d’un certain nombre de littérateurs. Ils venaient proposer à Jean-Baptiste Say de prendre la rédaction en chef d’un recueil périodique destiné à relever, en France, le culte du bon goût et d’une saine philosophie. L’offre frite ainsi par Ginguené et par Andrieux, de gracieuse et douce mémoire, fut acceptée, et le premier numéro de la Décade philosophique, littéraire et politique, par une société de républicains, parut au mois de floréal an ii (29 avril 1794), avec cette épigraphe : Les lumières et la morale sont aussi nécessaires au maintien de la République que le fut le courage pour la conquérir. Fidèle à la devise, chacun apporta sa part de talent et de conscience dans la tâche commune ; mais ce fut surtout à l’activité persistante du rédacteur en chef que fut dû le succès de cette revue, dont la collection forme quarante-deux volumes. Il savait obtenir la collaboration fréquente des hommes les plus éminents dans toutes les branches ; c’est ainsi qu’il insérait des morceaux inédits de Lalande, Fourcroy, Lacépède, Hersehel, Chaptal dans les sciences, de Parny, Lebrun, Marmontel, Sedaine, Delille, Bernardin de Saint-Pierre et beaucoup d’autres en littérature. Le rédacteur en chef se chargeait ensuite de compléter chaque numéro et d’y répandre de la variété par ses propres articles sur l’Économie Politique, et par une série de contes moraux où l’on trouve les traces d’une étude réfléchie des essayists anglais les plus célèbres. Quelques morceaux qui sont réimprimés dans les Mélanges de littérature et de morale eussent été digues du Spectateur.

Au nombre des rédacteurs de la Décade se trouvait aussi ce frère, compagnon du voyage en Angleterre. Une grande conformité de goûts et d’opinions, la même droiture dans les intentions resserraient encore les liens de l’amitié fraternelle. Horace Say, dont le nom était déjà transmis au fils aîné de son frère, avait suivi la carrière des sciences et se destinait aux fonctions d’ingénieur. Engagé sous les drapeaux à la première réquisition, il n’avait pas tardé à se présenter aux examens ouverts pour l’arme du génie et à s’y faire admettre. De Metz, il fut envoyé au siège de Luxembourg et fut ensuite appelé à Paris, pour coopérera l’organisation de l’École polytechnique, où il fut chargé de professer l’art des fortifications. Il s’occupait en même temps de science, de littérature, de politique ; esprit méditatif et généralisateur, sa collaboration était d’autant plus précieuse qu’il se liait chaque jour davantage avec tous ceux qui à cette époque faisaient faire de si grands