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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/188

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d’un homme, pour que nous soyons frappés des progrès que nous avons faits et que nous faisons encore tous les jours. C’est une observation de M. de Chateaubriand, dans un de ses derniers ouvrages, et je ne saurais mieux finir qu’en vous rapportant ses propres expressions.

« Christophe Colomb, dit cet auteur[1], découvrit l’Amérique le 12 octobre 1492 : le capitaine Franklin a complété la découverte de ce monde nouveau, le 18 août 1826. Que de générations écoulées, que de révolutions accomplies, que de changements arrivés chez les peuples dans cet espace de 334 ans ! Le monde ne ressemble plus au monde de Colomb… Dans ces eaux furieuses du cap Horn et du cap des Tempêtes, où pâlissaient les pilotes, dans les parages jadis les plus redoutés, des bateaux de poste font régulièrement des trajets pour le service des lettres et des voyageurs. On s’invite à diner d’une ville florissante en Amérique, à une ville florissante en Europe, et l’on arrive à l’heure marquée. Au lieu de ces vaisseaux grossiers, malpropres, infects, humides, où l’on ne vivait que de viandes salées, où le scorbut vous dévorait, d’élégants navires offrent aux passagers des chambres lambrissées d’acajou, ornées de tapis, de fleurs, de bibliothèques, d’instruments de musique, et toutes les délicatesses de la bonne chère. Un voyage qui demande plusieurs années de perquisitions sous les latitudes les plus diverses, n’amène pas la mort d’un seul matelot.

Les tempêtes ? on en rit. Les distances ? elles ont disparu. Un simple baleinier fait voile au pôle austral : si la pêche n’est pas bonne, il revient au pôle boréal. Pour prendre un cétacée, il traverse deux fois les tropiques, parcourt deux fois un diamètre de la terre, et touche en quelques mois aux deux bouts de l’univers. Aux portes des tavernes de Londres ; on voit affichée l’annonce du départ du paquebot de la Terre de Diemen, avec toutes les commodités possibles, pour les passagers aux antipodes. On a des itinéraires à l’usage des personnes qui se proposent de faire un voyage d’agrément autour du monde. Ce voyage dure neuf ou dix mois, quelquefois moins. On part l’hiver en sortant de l’Opéra ; on touche aux îles Canaries, à Rio-Janeiro, aux Philippines, à la Chine, aux Indes, au cap de Bonne-Espérance, et l’on est revenu chez soi pour l’ouverture de la chasse.

Les bateaux à vapeur ne connaissent plus de vents contraires sur l’Océan, de courants opposés dans les fleuves… Des routes faciles

  1. Œuvres complètes, tome VI, p. 85.