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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/662

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Un coup de foudre n’aurait pas été plus terrible. Favelle, tout couvert d’une sueur froide, entre dans la chambre suivante, sans savoir pourquoi, par habitude. Que voit-il ? Le corps de son adversaire étendu sur un sopha ! Madame de Vineuil l’œil rouge, le teint pâle, dans un état affreux, les bras appuyés sur les jambes de son fils, et apercevant à peine l’étranger qui entre ; la plus jeune sœur assise dans le coin de la chambre au fond d’un fauteuil dans le silence et dans l’abattement.

À ce tableau déchirant, Favelle recule ; puis, avec un cri d’effroi, il reprend le chemin de la porte. La fille aînée le retient : « Voulez-vous donc nous abandonner, lui dit-elle ? Plaignez-nous, monsieur Favelle, pleurez avec nous mon malheureux frère !… — Oui, je pleurerai, je pleurerai longtemps. — Mon fils ! s’écriait madame de Vineuil, mon fils ! L’espoir de sa mère, de ses sœurs ! — Massacré pour un rien, ajouta la sœur ainée, pour un mot sans conséquence. — Il n’avait point d’envie de se battre, reprit la mère en sanglottant ; il voulait se réconcilier. Ils lui ont fait regarder cela comme une lâcheté ; ils l’ont forcé… puis elle retomba. — La sœur ajouta : il était votre ami avant de vous connaître, il attendait avec impatience le moment de vous voir ; il partageait déjà tous nos sentiments pour vous… »

Favelle pétrifié, voyait sans voir, entendait sans entendre. Enfin, un gémissement violent et sombre se fit jour du fond de son cœur, et frappa d’étonnement les dames Vineuil ; puis d’une voix altérée et sombre : « C’est moi ! C’est moi ! » Et il disparut, laissant après lui une horrible surprise.

Voilà la cause de la douleur où sont plongés mes amis ; un jeune homme a tué le fils de la maison qui lui avait tendu les bras ; j’en verse des larmes tous les jours ; mais, hélas ! quel soulagement retirent-ils de mes larmes ? Revoir son fils pour le perdre aussitôt ! Il était venu à Paris pour une affaire imprévue et importante de sa maison de Nantes. Il apportait à sa mère la nouvelle qu’il venait d’y être associé. Elle et ses sœurs étaient au comble de la joie. Le jeune Vineuil avait témoigné beaucoup d’empressement de se lier d’amitié avec Favelle ; il était même allé chez lui le matin, mais ne lavait pas rencontré. Ils se seraient parfaitement convenus ; ils étaient tous deux du même âge, tous deux bien élevés ; et certes, bien plus estimables, quand même ils se seraient embrassés sur le lieu du combat, que ceux qui auraient affecté de s’en moquer.